La peine de mort, une solution simple à un problème complexe, n’a connu que peu d’éclipses avant son abolition en 1981. Aussi loin qu’on se souvienne, les sociétés humaines y ont eu recours pour punir les criminels. Quel mal peut-il y avoir à tuer les méchants ? Pourquoi rechigner à rendre une justice d’apparence si efficace ? Voyons donc.
Rappel historique
Les êtres humains se donnent mutuellement la mort depuis les temps bibliques, comme en témoigne par exemple l’histoire bien connue de Caïn et Abel. Même aujourd’hui, presque rendus au premier quart du 21ème siècle, nous nous trouvons régulièrement saisis d’envies de violence : au volant, au moment de trouver une place de parking, dans la queue au supermarché, au cinéma quand des gens trop bruyants ou bavards gâchent le film… La brutalité nous vient naturellement, car elle est un mode primitif et simple de résolution des conflits, qui a en bonus l’avantage de favoriser les plus forts. Autant dire que Mère nature adore.
En France, ce n’est qu’au 18ème siècle, le 30 mai 1791, que la peine de mort est remise en question par un brave homme du nom de Louis-Michel Lepeletier de Saint-Fargeau. Et l’affaire n’est ni rapide, ni simple, ni durable, puisque l’abolition prononcée le 26 octobre 1795 par la Convention nationale se trouve annulée le 12 février 1810 par Napoléon Bonaparte lui-même. Il faut attendre la révolution de février 1848 pour légaliser à nouveau l’abolition de la peine de mort, mais cette législation est de courte durée, puisque la nouvelle Assemblée nationale rétablit la peine de mort, sauf en matière politique, en juin 1848.
Au début du 20ème siècle des tentatives d’abolition de la peine capitale voient le jour. Elles échouent toutes, l’opinion publique y étant hostile. À partir de 1906, le nouveau président de la République Armand Fallières, partisan de l’abolition de la peine de mort, gracie systématiquement tous les condamnés à mort. En 1908, Aristide Briand, garde des Sceaux du gouvernement Georges Clemenceau, soumet aux députés un projet de loi visant à abolir la peine de mort. Malgré l’appui de Jean Jaurès, ce projet est repoussé le 8 décembre par 330 voix contre 201. Les exécutions capitales reprennent dès 1909.
Enfin, au terme d’une longue bataille, la France abolit définitivement la peine de mort le 9 octobre 1981.
Statistiques
- Amnistie internationale a recensé au moins 993 exécutions dans 23 pays en 2017, soit 4% de moins qu’en 2016 (où 1 032 exécutions avaient été enregistrées) et 39% de moins qu’en 2015 (année où l’organisation avait relevé le chiffre le plus élevé depuis 1989 : 1 634 exécutions). La plupart des exécutions ont eu lieu, par ordre décroissant, en Chine, en Iran, en Arabie saoudite, en Irak et au Pakistan,
- À la fin de l’année 2017, 106 pays (la majorité des États dans le monde) avaient aboli la peine de mort dans leur législation pour tous les crimes et 142 (plus des deux tiers des États) étaient abolitionnistes en droit ou en pratique,
- Plus de 4% des condamnés à mort aux États-Unis seraient innocents : Selon une étude menée par l’Académie américaine des sciences, 4,1% des condamnés à mort seraient victimes d’erreurs judiciaires. En appliquant ce taux aux 1320 personnes exécutées depuis 1974, on pourrait en déduire que plus de 50 personnes innocentes ont été exécutées,
- Cinquante-cinq prisonniers condamnés à mort ont été innocentés dans six pays : Chine, États-Unis, Maldives, Nigeria, Taiwan et Zambie,
- Fin 2017, au moins 21 919 personnes condamnées à mort étaient en attente d’exécution,
- Dans nombre de pays où des gens ont été condamnés à mort ou exécutés, la peine capitale a été prononcée à l’issue d’une procédure non conforme aux normes internationales d’équité des procès. Dans certains cas, des « aveux » ont été arrachés au moyen de la torture ou d’autres mauvais traitements, notamment en Arabie saoudite, à Bahreïn, en Chine, en Irak et en Iran.
Les modes d’exécution
Époque gauloise
Les condamnés à mort étaient, au choix, précipités du haut d’une falaise ou brûlés vifs.
Époque gallo-romaine et Bas-Empire
Les Romains utilisaient la crucifixion pour les voleurs et les vagabonds ; ils les envoyaient parfois contre des gladiateurs, voire des bêtes sauvages ou encore leur coupaient la tête.
Ancien Régime
Au programme : pendaison, décapitation, bûcher, roue, huile bouillante, écartèlement ou cassage de tête.
Fin du 18ème-19ème
La guillotine fait une entrée fracassante dans l’univers feutré de la mise à mort.
Époque contemporaine
Les méthodes d’exécution suivantes ont été mises en œuvre : la décapitation (en Arabie saoudite), la pendaison (en Afghanistan, au Bangladesh, en Égypte, en Irak, en Iran, au Japon, en Jordanie, en Malaisie, au Pakistan, en Palestine, à Singapour et au Soudan), l’injection létale (en Chine, aux États-Unis et au Viêt Nam) et la fusillade (en Arabie saoudite, au Belarus, en Chine, en Corée du Nord, aux Émirats arabes unis, en Guinée équatoriale, en Palestine, en Somalie, à Taiwan et au Yémen).
Le pour, le contre
Arguments en faveur de la peine de mort
- La peine de mort est dissuasive : on a tous peur de mourir, y compris les criminels,
- La peine de mort protège la société de dangereux criminels : une fois mort, un tueur ne peut plus tuer,
- La peine de mort fait passer un message clair : le crime ne paie pas,
- La peine de mort venge les victimes,
- La peine de mort sert la justice : en mettant la pression sur l’accusé elle donne plus de marge de manœuvre au procureur pour obtenir, par la menace, d’autres informations,
- La peine de mort décourage les proches des victimes à se faire justice elle-mêmes en marge des tribunaux,
Arguments des abolitionnistes
- Utiliser la mort pour sanctionner un criminel, c’est descendre à son niveau : oui, ça compte la morale. Et puis tuer quelqu’un afin de montrer que tuer c’est mal, c’est salement paradoxal,
- S’en tenir au fait que la mort stop net un criminel, c’est succomber à l’Utilitarisme, le meilleur ami des monstres froids,
- Tout comme l’abolition de l’esclavage a contraint l’appareil de production capitaliste à évoluer (rationalisation accrue, automatisation), l’abolition de la peine de mort doit nous amener évoluer dans la façon dont nous gérons les individus (empathie, conscience accrue de la chose publique),
- La justice se trompe parfois : et on finit par exécuter des innocents,
- Autoriser le gouvernement à tuer des citoyens, c’est jouer avec le feu : aujourd’hui on liquide des criminels, après-demain on élargit le truc aux délinquants et puis un jour ce sont les journalistes encombrants qu’on assassine,
- Personne n’est innocent : la société a une part de responsabilité dans l’existence de chaque criminel. Si notre mode de vie collectif produit des assassins, alors c’est à nous de changer,
- Vengeance n’est pas justice : à la triste passion qu’est la vengeance, la République substitue la noble Justice,
- Donner la mort à un être humain est toujours une sale affaire : il faut voir la foule animée d’une sorte de haine folle, vociférant, appelant de ses voeux la mort, résolue à camper sur place tant que le sang n’aura pas coulé pour se rendre compte qu’il n’y a rien de grand, rien de digne d’une justice humaniste, d’une civilisation moralement avancée dans la peine de mort,
- La peine de mort est discriminatoire : Aux USA, les minorités et les personnes pauvres sont surreprésentées dans les couloirs de la mort. Souvent mal défendues par des avocats assignés d’office, ignorantes des lois et de leurs recours, parfois victimes elles-mêmes d’actes violents, elles n’ont de plus pas les ressources pour s’offrir une défense adéquate,
- La peine de mort est inefficace : Des preuves recueillies partout dans le monde montrent que la peine de mort n’a pas d’effet dissuasif spécifique sur la criminalité. Ainsi, aux États-Unis, en 2004, le taux d’homicides moyen était de 5,71 pour 100 000 habitants pour les États recourant à la peine de mort, et de 4,02 pour 100 000 pour les États n’appliquant pas ce châtiment. Au Canada, entre 1975 (l’année précédant l’abolition de la peine capitale) et 2003, le taux d’homicides a chuté de 44%,
- Cherchez l’intrus : Internet, Objets connectés, Robotique, Matériaux composites, Intelligence artificielle, Peine de mort. Ce châtiment digne de l’âge de pierre n’a pas sa place à l’ère de l’information.
Ce que j’en pense
La peine de mort est un mode de punition indigne d’une République du 21ème siècle. Premièrement, il apparait clairement qu’elle excite les passions mauvaises, les plus bas instincts de foules avides de vengeance. Vous n’avez pas à me croire sur parole, allez simplement sur la chaîne YouTube de l’INA et regardez un peu ce que nous montrent les archives à ce sujet. La punition et la vengeance appartiennent au monde arriéré et brutal de l’ancien testament, à l’époque des gladiateurs, des mises en croix, des actes de torture en place publique.
Deuxièmement, comme je l’ai démontré plus haut, la peine de mort est inefficace, ou disons plutôt que son rapport qualité/prix à payer en tant que civilisation est mauvais. Entre les bavures judiciaires qui voient des innocents assassinés, la saleté et la laideur inhérentes à la destruction d’un corps humain et les nouvelles possibilités offertes par notre technologie, aucun argument rationnel et moralement recevable ne peut être opposé à l’abolition totale et définitive de la peine capitale.
Dernier point, il me semble terriblement hypocrite de nier ou d’ignorer le fait que la société dans son ensemble a une responsabilité dans l’émergence de criminels. Un violeur, un assassin, un cambrioleur ne nous tombent pas du ciel. Ce sont, comme vous et moi, des êtres humains nés d’un père et d’une mère, qui ont grandi parmi nous, se sont construits en s’appuyant sur ce que notre monde leur a offert. Les enfants se développent dans des environnements sociaux et culturels dont ils s’imprègnent. Par exemple, trop souvent, après coup, on se rend compte qu’un tueur en série aurait pu être arrêté bien avant qu’il ne commette son forfait, si seulement quelqu’un s’était sincèrement intéressé à lui.
Nous voilà rendus à la source du problème : les gens que nous laissons tomber finissent par nous tomber dessus. Les êtres humains ne se tournent vers la violence que quand ils n’ont plus rien à perdre ou quand ils ont trop à y gagner pour rester raisonnables. Nos problèmes avec la criminalité ne seront pas résolus tant que nous considérerons certaines vies comme perdues. Ne soyons pas comme la Weyland-Yutani du film Alien, ne sacrifions pas qui que ce soit dans notre course à la prospérité. Le modèle de société Français se veut égalitaire, il me semble vraiment dommage de le laisser tomber au profit de la sauvagerie libérale d’outre-Atlantique.
On ne peut pas se dire Humaniste, prétendre croire en la liberté, l’égalité, la fraternité et couper des têtes.